dimanche 17 mai 2015

Quels droits pour les animaux?

Jean-Marc Neumann et Cristel Simler enseigneront le droit animal à l’université de Strasbourg, à partir d’octobre 2015. Il s’agit d’apprendre entre autres quelles sont les “règles applicables aux animaux”, afin de leur assurer “une protection plus efficace”, notamment dans les exploitations animales.

“Les participants seront amenés à réfléchir aux questions éthiques que pose la souffrance animale et à la réponse que peut apporter la loi censée concilier des intérêts parfois contradictoires”, peut-on lire sur le site web Animal et droit.

Il devrait y avoir “sous peu un diplôme entièrement dédié au droit animal”, nous indique par ailleurs Jean-Marc Neumann.

Pour plus d’informations » Cours de droit animal / Master 2 Éthique et société / CEERE / Université de Strasbourg

vendredi 15 mai 2015

L’étrange subvention à la surproduction porcine

La surproduction industrielle de porcs de caillebotis est aidée depuis des années. Récemment, la Commission européenne a encore décidé de faire participer les contribuables — dont l’avis n’est pas demandé — à l’énième financement du stockage privé de viande de porc de l’Union européenne, «afin d’alléger la pression sur le marché» [1]. Étrange, non? Le contribuable n’est pas responsable de la surproduction; il est même, ici ou là, fermement opposé à l’accroissement de la surproduction locale de milliers de porcs; pourtant, il lui est demandé de payer pour — peut-être — remonter quelque peu le prix de la viande surabondante!

«Therefore, for the time being, the EU Commission is very cautious and sceptical about the outcomes of an APS scheme now.»
La Commission européenne, le 28 octobre 2014.

Le 28 octobre 2014, un «groupe de dialogue» à propos des viandes porcines se réunit à Bruxelles. De l’argent est demandé pour faire face, dans un contexte d’embargo russe, à une situation de «crise», et un participant suggère de réguler le marché par la destruction d’une quantité de viandes. Le représentant de la Commission européenne répond en substance qu’il n’est pas acceptable que des porcs soient produits puis détruits, [2] et, pour ce qui est d’accorder de l’argent, il rappelle que depuis 1993, l’aide au stockage privé a été mise en œuvre huit fois, la dernière en 2011, selon des critères auxquels la crise actuelle ne correspond pas. La Commission paraît donc considérer que l’aide au stockage privé n’est pas une bonne solution pour sortir de la surproduction porcine. [3]

Cette aide au stockage privé a eu, par le passé, un coût relativement élevé à cause des quantités impliquées. Quelques exemples. Entre septembre 1998 et septembre 1999, les demandes d’aide au stockage ont concerné 55.000 tonnes pour la France, et 430.000 pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne. [4] Plus tard, entre décembre 2002 et février 2003, les demandes ont concerné 13.000 tonnes pour la France, et 111.000 pour l’Union européenne; cependant les cours du porc ont continué à chuter en Europe; nonobstant, l’aide au stockage privé a été renouvelée entre décembre 2003 et février 2004, concernant cette fois 7.980 tonnes pour la France, et 90.000 pour l’Union européenne. [5] Quant au coût de l’aide au stockage privé, en 2011, de 140.000 tonnes, il a été de soixante-trois millions d’euros. [6]

En décembre 2014, il transparaît à nouveau que l’embargo russe n’est pas responsable à lui seul de la surproduction; qu’une surproduction structurelle, dans certains États membres de l’Union européenne, est, elle aussi, responsable de la situation d’exploitants porcins. [7]

Or, patatras! il apparaît le 24 février 2015 que la Commission a cédé aux surproducteurs: le stockage privé sera à nouveau aidé «afin d’alléger la pression sur le marché». La raison invoquée est la suivante: «l’effet conjugué de l’embargo russe et de l’augmentation de la production au sein de l’Union européenne» fait chuter les prix «sur tous les marchés européens». Soit, jusque-là, rien de bien nouveau dans le discours.

La nouveauté est ici: le représentant de la Commission estime désormais, tandis que «les agriculteurs» sont dits «confrontés à de graves problèmes de liquidités», que l’aide «au stockage privé est l’outil le plus efficace dont nous disposons pour remédier à la situation difficile du marché». [8] Fini, donc, le scepticisme face à l’option de l’aide au stockage privé. Le contribuable va participer à retirer une quantité considérable de viandes du marché, dans le but incertain de faire remonter le prix de la viande de porc; il est donc imposé pour acheter à un prix peut-être un peu moins bas sa viande — si tant est qu’il veuille en manger.

Pour autant, l’embargo russe reste une justification fumeuse de l’imposition du contribuable. Souvenons-nous, d’abord. Nombre de ventes sur le marché russe, avant l’embargo, avaient été liées à «l’octroi ou non de restitutions par la Commission européenne qui [faisait] souvent suite à la mise en place d’une opération de stockage privé quelques mois auparavant.» [9] FranceAgriMer expliquait en 2013 que ces aides au stockage privé avaient servi «jusqu’à une période récente» à congeler essentiellement des tonnes de demi-carcasses. «Une majeure partie de celles-ci, au moment de leur remise sur le marché, [était] expédiée vers la Russie à l’aide de restitutions.» [10] Quant à l’avenir, la «Russie espère devenir autosuffisante en viande de porc à l’horizon 2020.» [11]

«L’embargo russe a bon dos», résume le 12 mars 2015 la Confédération Paysanne, «car apparemment d’autres marchés export ont compensé». [12] En effet, les ministères du commerce extérieur et de l’agriculture, ainsi que Business France, FranceAgriMer et des fédérations professionnelles, ont prospecté, à l’intention de producteurs français, des marchés de remplacement du marché russe. [13]

Dès le 6 mars, la Commission elle-même a reconnu «que les opérateurs ont agi pour trouver d’autres marchés à la plupart des produits». Dès lors, ce qui est mis en exergue par la Commission pour expliquer «la longue pression sur les  marges» des producteurs, ce sont les investissements importants qu’ils ont déjà réalisés «afin de répondre aux nouvelles règles européennes de protection des animaux». [14] (Nouvelles, ces règles? vraiment?!…)

Quels sont, depuis le 9 mars 2015, les États d’où ont émané le plus de demandes d’aide au stockage privé? Ce sont le Danemark, l’Espagne, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie, les Pays-Bas, puis la France, comme le figure le graphique ci-dessous. [15]


Il ne semble pas y avoir de limite maximale à l’aide des contribuables, alors qu’il y en a une minimale: un lot de stockage doit peser «au moins 10 tonnes pour la viande désossée et au moins 15 tonnes pour la viande avec os»; la «quantité minimale recommandée au titre d’une journée» d’opération de congélation étant fixée à 1,5 tonnes pour la viande désossée, et à 2 tonnes pour la viande avec os. [16] Autrement dit, l’aide, dont le montant varie entre 210 et 305€ par tonne selon la catégorie de produits et la durée du stockage, [17] paraît bénéficier aux plus grands surproducteurs porcins. Elle coûtera donc cette fois, selon les chiffres dont on dispose à l’heure où j’écris ces lignes, plus de dix-sept millions d’euros. [18]

Et ce quoique le 24 mars 2015, l’Eurogroup for Animals, CIWF, PROVIEH, le BEE et l’EPHA, aient écrit au commissaire européen à l’agriculture Phil Hogan, pour lui demander la cessation de l’aide au stockage privé, jugeant inacceptable que l’impôt serve à cela. «Le secteur porcin sait qu’il prend un risque commercial quand il surproduit, aussi l’argent public ne doit-il pas être utilisé pour l’aider quand il rencontre des difficultés [19]

Mais l’aide est maintenue. Et pensez-vous que les surproducteurs porcins en soient satisfaits? Non, à en croire la réaction du COPA-COGECA [20], qui regrette que la graisse, notamment, ne soit pas concernée par l’aide au stockage et redemande une subvention, le 14 avril 2015, pour sa transformation en combustible. [21]

Or, bien qu’elle soit jugée insuffisante, l’aide du contribuable est d’autant plus regrettable que beaucoup de producteurs intensifs, depuis 12 ans, ne respectent pas la législation pour le bien-être animal. «Il semble qu’au moins 90% des porcs de l’Union européenne aient la queue coupée malgré l’interdiction de la section routinière des queues. Qu’au moins 80% des porcs de l’Union européenne n’aient pas accès à des matériaux d’enrichissement suffisants» dans leur case, tels que de la paille, du foin, &c. «Les enquêtes de CIWF et de nombreuses photographies faites, par nos partenaires, dans différents pays membres de l’Union européenne, suggèrent que ces chiffres, vraisemblablement, sont encore plus élevés.» [22]

Et dire qu’en 2010, le directeur de la législation agricole, à la Commission européenne, considérait que c’était «une obligation» de fournir aux porcs «un certain nombre de produits consommables ou renouvelables»! Cela faisait, assurait-il, «l’objet de contrôles par les services vétérinaires lors de leurs inspections»! Aussi justifiait-il que le «relèvement du plafond de l’aide relative aux installations porcines ne [pourrait] que contribuer à un meilleur respect de la réglementation»[23]

Ce n’est donc pas faute d’argent public consacré, en France, à la «mise aux normes» des exploitations hors-sol. Ainsi, le «plan de modernisation des bâtiments d’élevage» a concerné depuis 2008 les hors-sol et visé entre autres, nous avait-on dit, «à favoriser l’introduction […] de pratiques d’élevage plus respectueuses du bien-être et de l’hygiène des animaux ainsi que de l’environnement». [24] Une aideparmi d’autres déjà évoquées [25] — ayant pu être majorée en «zone de montagne» [26] (qu’on sait pouvoir n’être pas vraiment située à la montagne). Entre autres subventions, on remarquera également les vingt-cinq millions d’euros réservés, pour 2012, à la «mise aux normes» concernant les truies gestantes: la production porcine obtenait, paraissait-il, «plus de la moitié du budget des plans stratégiques multifilières». [27]

Alors, tandis que l’État n’a eu de cesse d’autoriser l’accroissement de mégaporcheries, rendant ainsi plus difficile l’adaptation de l’offre à “la demande” (si tant est que l’industriel réponde à une demande, et que le chaland ne soit conçu qu’afin d’absorber l’offre); tandis que de l’argent public a été sollicité pour promouvoir [28] du produit de mégaporcheries, vendu sous un enjoliveur d’homogénéité industrielle et de vague origine; une question se pose: à combien monterait la subvention à la surproduction porcine quand, grâce à un traité de libre-échange transatlantique, [29] il proviendrait d’Amérique du Nord à peu près autant de viande de porc que ce qui, actuellement, est stocké aux frais du contribuable?


RÉFÉRENCES

[1] Commission européenne, Commission launches Private Storage Aid for pigmeat to stimulate EU pig market recovery, en date du 24 février 2015.

[2] Communication personnelle d’Anne Vonesch, qui venait de participer à la réunion.

[3] Compte-rendu officiel, Minutes of the Civil Dialogue Group on Animal Products Sector “Pig Meat” le 28 octobre 2014 à Bruxelles. On peut notamment lire: «Therefore, for the time being, the EU Commission is very cautious and sceptical about the outcomes of an APS scheme now.»

[4] Ministère de l’agriculture et de la pêche, direction des affaires financières et de la logistique, SDAB/BECPA, La viande porcine, mise à jour en date de février 2006, page 6.

[5] Idem, page 7.

[6] Communication personnelle d’Anne Vonesch, quant à la réunion du «groupe de dialogue civil» réuni à Bruxelles le 14 avril 2015.

[7] The Pig Site, Overproduction Partly to Blame for EU Pig Market Problems, en date du 19 décembre 2014. On peut notamment lire: «The Commission noted that in addition to the Russian embargo, the overproduction in some member states is also responsible of this situation.»

[8] Cf. note 1.

[9] FranceAgriMer (établissement national des produits de l’agriculture et de la mer), «Le commerce international de la viande de porc – L’Asie, moteur de la croissance?», Les synthèses de FranceAgriMer, février 2003, n° 17, élevage/viandes, page 6.

[10] Ibidem.

[11] Idem, page 10.

[12] Lettre ouverte à l’attention de M. Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, de Laurent Leray, secrétaire national en charge du pôle élevage, et Pierre Brosseau, responsable de la commission nationale porc, en date du 12 mars 2015.

[13] Réponse écrite à la question écrite du député Guillaume Chevrollier à la ministre du commerce extérieur, «sur l’embargo russe portant sur la viande porcine», publiées en date du 18 mars 2015.

[14] Commission européenne, Commission opens private storage aid for pigmeat, en date du 6 mars 2015.

[15] Commission européenne, Private storage for pigmeat 2015, Requests for private storage aid, contrats conclus, données cumulées au 30 avril 2015, préliminaires, en date du 13 mai 2015.

[16] FranceAgriMer, Cahier des charges relatif au stockage privé de viande porcine – Campagne 2015, en date du 6 mars 2015, pages 3 et 7.

[17] Commission européenne, Règlement d’exécution (UE) 2015/360 de la commission du 5 mars 2015 ouvrant une mesure de stockage privé pour la viande de porc et fixant à l’avance le montant de l’aide, page 4.

[18] Cf. note 15.

[19] Lettre au commissaire européen à l’agriculture Phil Hogan, de Philip Lymbery (CIWF), Jeremy Wates (BEE), Reineke Hameleers (Eurogroup for Animals), Nina Renshaw (EPHA), Sabine Ohm (PROVIEH), Opposition to financial support for pig sector, en date du 24 mars 2015, page 1.

[20] Comité des organisations professionnelles agricoles, et comité général de la coopération agricole, au sein de l’Union européenne.

[21] Communication personnelle d’Anne Vonesch, quant à la réunion du «groupe de dialogue civil» réuni à Bruxelles le 14 avril 2015.

[22] Cf. note 19, ibidem.

[23] Commission européenne, direction générale de l’agriculture et du développement rural, lettre du directeur de la législation agricole au secrétaire national de la fédération française des associations de protection de la nature et de l’environnement en charge des questions agricoles, en date du 11 novembre 2010.

[24] Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, Le plan de modernisation des bâtiments d’élevage, présentation en date du 23 novembre 2009.

[25] Cf. la lettre d’information des familles associées de Causse durable, sous le sous-titre «Une filière porcine qui n’est pas moins aidée par les contribuables». Il nous a semblé que ces aides n’étaient pas ignorées de producteurs porcins.

[26] Ministère de l’agriculture et de la pêche, Le plan de modernisation des bâtiments d’élevage, présentation non datée, page 1: «Ces taux peuvent être majorés de 10% pour des projets portés par de jeunes agriculteurs et pour des projets en zone de montagne. Le montant plafond des investissements éligibles est fixé à 90.000€ en zone de plaine pour la construction neuve, montant porté à 100.000€ en zone de montagne. Pour les projets de rénovation, ces seuils sont fixés respectivement à 60.000€ et 70.000€.»

[27] Agri49, Urgent: dépôt des dossiers mises aux normes «truies gestantes», en date du 24 avril 2012.

[28] Voir par exemple l’Évaluation à mi-parcours du PDRH, page 88 (19 du format PDF): «Bilans spécifiques de la mesure 133 en provenance des régions»: «Aquitaine (31/08/2010): 22 projets de promotion ont été introduits, dont 17 concernent l’agriculture biologique (dont 3 vins bio), les autres concernent les IGP (Jambon de Bayonne et Foie gras du Sud Ouest) et AOC (Noix du Périgord et Piment d’Espelette) pour un montant engagé éligible d’environ 1,3M d’€ et de 446.500€ de FEADER.»

[29] À lire concernant ce traité, l’excellent article d’Hélène O’Donnell: Le TAFTA, les animaux et moi.


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