lundi 29 juin 2015

Le masque LOCAL de l’industriel porcin

D’aucuns emploient des mots qui ont beau ne refléter une réalité, ces mots ont l’intérêt de la rendre acceptable voire louable auprès d’interlocuteurs crédules, ou qui acceptent de suivre la règle du jeu de la mercatique. Des mots tels qu’éleveur, local et proximité. Nous allons exposer ce que ces mots ne veulent pas dire. (Nota bene: le cas exposé dans cet article est présenté de façon anonyme, parce qu’il s’agit de dénoncer, non des exploitants pris dans un système, mais la tromperie du public développée par ce système.)


«La Région […] ne compte désormais plus que 600 éleveurs de porcs qui ne parviennent à produire que la moitié des besoins des transformateurs locaux […]. Cette situation de déficit par manque de production de proximité conduit à fragiliser toute la filière porcine régionale»

Voilà des propos d’un avocat, évoquant assez confusément le nombre amoindri:

— de producteurs industriels de matière porcine, dont est un GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun, avec ses deux sites de production distants, leurs milliers annuels de porcs de caillebotis, et leur aliment dont la fabrication est gérée par informatique et la distribution automatisée [1]);

— et d’éleveurs de porcs les pieds sur terre, en plein air.

L’avocat ne remarque pas que sa confusion, masquant les concentrations industrielles, défavorise l’emploi d’éleveurs de porcs les pieds sur terre, en plein air. C’est étrange, parce qu’il semble déplorer, pourtant, le nombre amoindri d’éleveurs au sein d’une région.

Un tel raisonnement serait surprenant, s’il n’était éculé: puisque la demande de viande de porc, nous explique l’avocat, est supérieure à l’offre locale, cela fragilise le producteur local. C’est–à-dire que l’industriel vend tout son porc, mais, fragilisé de vendre tout son porc, il veut que la quantité à vendre, déjà fragilisante, soit plus conséquente.

La production de proximité est insuffisante, dit l’avocat. C’est-à-dire, voyez-vous ça? les voisins en redemandent! C’est une idée! C’est même plus qu’une idée. Cela participe d’une tactique médiatique, occultant, auprès du public qui ne consacre son temps à lire les dossiers proposés à la consultation, l’aspect industriel d’une production, avec des éléments de langage autrement évocateurs, comme petit, exceptionnel (voyez l’article Où le mot PETIT masque GRAND, et EXCEPTIONNEL le CAILLEBOTIS), famille (voyez FAMILIAL n’est pas l’antonyme d’INDUSTRIEL), ou encore éleveur, local, et proximité.

Les caractères génétiques, des porcs produits industriellement par le GAEC en question, ne semblent absolument pas locaux: ils seraient plutôt liés au programme d’auto-renouvellement de la Pig Improvement Company (PIC), et à des verrats FH Master 16. [2] Cela n’a rien d’étonnant. «En production porcine, la spécialisation des races conduit à la quasi-disparition des races dites locales et à une standardisation de la production». En 2010, «les souches industrielles, propriété des entreprises de sélection, et les races dites “classiques” utilisées pour la sélection», auraient représenté «99,85% du cheptel» français de truies. [3]

Le premier site naisseur et engraisseur, ainsi que le second site engraisseur, appartenant à l’industrie porcine en question, sont distants de près de 43 kilomètres.

Les tourteaux de colza et de tournesol, dont seraient alimentés les porcs de caillebotis du second site engraisseur, proviendraient des huileries SAIPOL, une filiale de Lesieur [4]; ce n’est guère plus local. Quant au reste de l’alimentation dont ont besoin des milliers annuels de porcs de caillebotis, il est permis de douter que la terre locale, malgré l’industrie agricole qui y est en cours, la produise à elle seule.

Local veut pourtant dire: «Qui appartient à un lieu»; et proximité: «Voisinage d’une chose à l’égard d’une autre» (Le Nouveau Littré). Voyons-y. Si la plupart des riverains se sont opposés à l’accroissement de la production de porcs de caillebotis en un lieu, ce doit être probablement parce qu’ils jugent inutile cette production de proximité.

L’avocat semble néanmoins confondre deux parties, en prenant le désir de la première pour une demande de la seconde: l’industriel porcin qui voudrait perdre sa fragilité en vendant plus de milliers de porcs aux voisins; et la plupart des riverains qui ne veulent pas davantage de porcs de caillebotis pour voisins, et donc dans leur assiette, si tant est qu’ils aient et qu’ils sachent avoir quelquefois de la viande des porcs du caillebotis local dans leur assiette, puisque l’étiquetage est si “informant” qu’il n’a pas un mot, PAS UN SEUL, pour désigner le caillebotis où que ce soit en France. Un voisin du caillebotis masqué localement, ne peut donc demander au supermarché: «Puis-je racheter de ce merveilleux porc de caillebotis masqué, s’il vous plaît?»

Il lui aura fallu rouler plusieurs kilomètres, pour trouver un premier magasin où des produits industriels sont amplement vendus. Car ce qui est local sous la plume de l’avocat est, dans la réalité, sans étalon local. Le voisinage, pour lequel le producteur dit pourtant produire, ne pourrait manger ses milliers de porcs de caillebotis annuels. Ou bien, absorberait-il ces quantités à indigérer des ogres, en crèverait-il. Ce qui ne serait pas sans arranger l’industriel, le débarrassant du même coup de ses voisins très bêtement opposés à l’accroissement de son altruiste production de proximité, de très recherchés porcs — de caillebotis masqué. Avec guère de voisins, soit guère d’acheteurs voisins, ne devrait-il en découler la pérennité de l’industrie porcine locale? (la fragilité venant, paraît-il, est-il besoin de le rappeler? de vendre tous ses porcs — de caillebotis masqué — fort appréciés des voisins).

Les porcs ne sont pas, non plus, abattus localement. Il n’y a aucun abattoir proche du caillebotis, et les porcs ne seraient pas descendus à l’abattoir le moins éloigné, à savoir un abattoir soi-disant “montagnard” (peut-être parce qu’il serait trop difficile de descendre des tonnes de porc de caillebotis vers la “montagne” de complaisance la plus proche). Les industriels porcins ont eu exprimé vaguement que les porcs sont abattus au chef-lieu du département. [5] Voyons: les porcs seraient dès lors transportés sur près de 66,8 kilomètres, pour être abattus à l’abattoir de leur groupement de producteurs, dans une zone industrielle “montagnarde”. Bref, l’abattage ne serait pas local, mais quelques “montagnes” bidon plus loin.

Donc, si nous ne mangeons guère localement le porc de caillebotis masqué, et si, non plus, on n’abat localement le porc de caillebotis masqué, qu’y fait-on ouvertement? Le porc de caillebotis y est-il ramené pour y être transformé? Dans l’affirmative, cela monterait le trajet local, depuis le départ du site naisseur, à près de 176 kilomètres; et, dans l’affirmative encore, le voisinage s’opposerait ainsi à son propre emploi en refusant l’extension des caillebotis masqués!!? Que le monde serait fou, décidément! si le voisinage était salaisonnier ou charcutier! Or, non, ni charcutier ni salaisonnier voisin des caillebotis masqués. Les industries destinataires seraient plus loin: Unetelle [6] sur la zone industrielle près de l’abattoir “montagnard” le moins éloigné mais qui, on l’a dit, n’abat nullement les porcs en question. Soit, pour ce seul exemple, un trajet du site naisseur vers le second site engraisseur, puis vers l’abattoir, puis vers le transformateur industriel, de près de 175 kilomètres. Auquel il faut ajouter notamment le transport de la marchandise vers les lieux de vente, et d’un lieu de vente jusque chez le consommateur, en somme des CENTAINES DE KILOMÈTRES au minimum, car la production d’un transformateur industriel n’est pas essentiellement destinée à être consommée localement.

Il a semblé vain de chercher auprès des industriels porcins la mesure complète de leurs “localité” et “proximité”, soit les destinations de leur production. Leur prise de parole lors d’un conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), signifiait plus vaguement encore une participation «à l’activité des filières locales, des abattoirs locaux, des salaisonniers». [7]

À se demander pourquoi ce genre d’exploitation, fragilisée par la vente de tout son porc à proximité, eut sa «petite taille» vantée, pour vendre des tonnes de jambon, en des langues étrangères aux locaux!? «The small scale of the units», «Dank der geringen Größe der Zuchtbetriebe», «飼育規模が小さいこと»[8] Ainsi, local paraît pour le moins devenu, au fil de la route parcourue par des milliers de porcs ou leur viande, synonyme de mondial; proximité, d’éloignement; et avocat — d’un tel méli-mélo — je vous le laisse à penser…

Reste que l’État s’est satisfait de la confusion, lui qui classa «zone défavorisée de montagne» du plat caillebotis (environnement certes très pauvre), ainsi que l’abattoir industriel (labeur certes éprouvant).

Le masque serait drôle, s’il ne recouvrait tant de tragiques intérieurs.


RÉFÉRENCES

[1] Presse spécialisée; Résumé non technique produit par un groupement de producteurs, dans le cadre d’une demande d’autorisation d’accroissement de production hors-sol; et rapport d’un commissaire-enquêteur.

[2] Presse spécialisée.

[3] Jocelyne Porcher et Tiphaine Schmitt, «Les vaches collaborent-elles au travail?», Revue du MAUSS, 2010/1, n° 35, pages 235-261.

[4] Rapport d’un commissaire-enquêteur.

[5] Idem.

[6] Idem.

[7] Compte-rendu officiel d’un CODERST.

[8] Publicité via l’Internet, 2014.


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