mardi 2 août 2016

D’un DÉVELOPPEMENT porcin EXEMPLAIRE

L’ABATTOIR d’une zone industrielle, vers la fin du mois d’avril 2016. Dans le couloir d’amenée au piège, «les porcs sont stressés et se chevauchent dans la partie où ils progressent seuls les uns derrière les autres». Le restrainer (l’appareil de contention) «est défaillant». Aucune des pinces à électronarcose «n’est aux normes». Les «signes d’inconscience et de mort sont mal connus et non testés par les agents en poste, qui utilisent la pince de secours à mauvais escient et avec un mauvais positionnement sur la tête». Dès l’instant qu’un étourdissement supplémentaire de l’animal paraît nécessaire, la «plupart du temps l’utilisation de la pince de secours re-stimule électriquement l’animal sans l’étourdir». Un mois auparavant, «une mauvaise anesthésie pour 1 porc sur 4» était constatée. [1] N’est-ce étrange?

Car, saviez-vous? la société PORC MONTAGNE, une filiale de la coopérative APO (Alliance Porci d’Oc), avec «un chiffre d’affaires de 120 M€ en 2014», est censée, selon l’information du Conseil départemental de l’Aveyron, avoir «choisi la bonne voie», être une «réussite aveyronnaise», et poursuivre «un développement exemplaire». Bien évidemment, une «formule» spéciale n’est point étrangère à la «progression constante» de l’activité de PORC MONTAGNE, «de 2% à 4% par an», et cette «formule» est la suivante: «adaptabilité, valorisation et humilité»[2]

Résultat? en 2016, l’abattoir de la société PORC MONTAGNE, sur la zone industrielle d’Arsac (dans la commune de Sainte-Radegonde, en Aveyron), abat 6.000 à 6.500 porcs (d’apporteurs bretons, auvergnats, et du Cher), par semaine. Soit quelque vingt-cinq mille tonnes par an. [3]

Or, à en croire une publicité, cet «abattoir spécialisé» avait une «capacité d’abattage» de seulement «5.500 porcs par semaine». [4] Tandis que la porcherie de l’abattoir, apprenait-on récemment d’autre part, «a été conçue initialement pour un abattage journalier de 500 porcs». [5] Je vous laisse calculer combien de porcs doivent être abattus chaque jour, afin d’arriver à un total de 5.500 à 6.500 par semaine: certainement plus de 500, n’est-ce pas?

Là intervient probablement le premier élément de la formule d’une réussite: adaptabilité. La place manque-t-elle pour recevoir les porcs arrivant, trop nombreux, à l’abattoir? Tels 1.300 porcs, d’un gabarit plus grand que celui des 500 pour lesquels la porcherie avait été conçue? Qu’à cela ne tienne, on adapte! c’est-à-dire: serrons! Et comme on serre, on serre… logiquement, «les porcs sont trop serrés, dans l’impossibilité de se déplacer dans la loge». Ce n’est pas le Conseil départemental qui nous l’expose, mais le rapport d’une inspection, effectuée le 27 avril 2016, par la DDPP (direction départementale de la protection des populations) de l’Hérault. Ce jour-là, «un porc était mort dans une loge où les porcs étaient les uns sur les autres». Évidemment, est-ce commode d’aller boire, pour des porcs trop serrés dans une case; est-ce d’autant plus facile quand il n’y a, dans cette case, qu’un seul distributeur d’eau, ou bien deux auges aux angles aigus, occasionnant hématomes et griffures? Non, constate la DDPP de l’Hérault. [6]

«abattage de 6.000 à 6.500 porcs par semaine, dont seulement […] 3-4 pleins air» (sic). 
DDPP de l’Hérault, mai 2016.

Cependant, pour ce qui est de valoriser, si l’on entend par valorisation — le second élément de la formule d’une réussite —, étiqueter «Porc de Montagne», par exemple, une viande de porc de caillebotis — lisez ou relisez l’article Le porc, pourquoi pas de MONTAGNE? —, en effet, c’est une réussite incontestable. «Et le goût prend de la hauteur», paraît-il… [7] La DDPP de l’Hérault, elle, a relevé que, sur 6.000 à 6.500 porcs, seuls 3 ou 4 de plein air étaient abattus.

Enfin, troisième élément de la formule d’une réussite: l’humilité, soit la «vertu qui nous donne le sentiment de notre faiblesse et de notre insuffisance». [8] Merveilleux! merveilleux! car — prenons-nous au rêve! — si cette belle qualité — outre que grâce à elle, «quand on connaît sa faiblesse, on ne se fâche pas de ce que les autres la montrent» [9] —, pouvait guider l’humble porcher sur la voie de l’honnêteté publicitaire, gageons qu’il appellerait bientôt les myriades de porcs de caillebotis des Cailleboteux, ou qu’il donnerait aux porcs une vraie montagne où parcourir. Moins, mieux. Quelle voie! quel exemple! quelle réussite seraient-ce là!


Références

[1] Préfecture de l’Hérault, DDPP de l’Hérault, Rapport d’inspection n° 16-017339 de la protection animale en abattoir de boucherie le 27 avril 2016, mai 2016, pages 2, 3, 4 et 6.

[2] Actualité Porc Montagne, 20 ans et en forme, sur le site web du Conseil départemental de l’Aveyron, en date du 12 octobre 2015.

[3] Préfecture de l’Hérault, DDPP de l’Hérault, Rapport d’inspection n° 16-017339 de la protection animale en abattoir de boucherie, le 27 avril 2016, mai 2016, page 5.


[5] Préfecture de l’Hérault, DDPP de l’Hérault, Rapport d’inspection n° 16-017339 de la protection animale en abattoir de boucherie le 27 avril 2016, mai 2016, page 2.

[6] Idem, page 2.

[7] http://charte-origine-montagne.com/medias//adherents/pdf/pro/FICHE-PorcMontagne.pdf: pour celles et ceux qui ne connaissent la zone industrielle d’Arsac, dans la commune de Sainte-Radegonde, n’allez point imaginer que, page 2 de ce document, sous le plan, la photo représente le paysage de Sainte-Radegonde. Absolument pas!

[8] Le Nouveau Littré.

[9] Amiel, dans Léon Tolstoï, La Pensée de l’Humanité, traduction d’E. Halpérine-Kaminsky, 1912, page 145.